Voila déjà trois jours que l’école fonctionne.
Le nombre d’élèves semble s’être stabilisé.
En ce qui concerne mon cours, Rajeev n’est jamais revenu mais Ajit Singh,
qui est le directeur de l’Office de tourisme et Amrendra (Amri) Singh qui
travaille dans une agence de voyage, ont pris sa place. Ils parlent tous les
deux très bien anglais et Amri a étudié le français à Bénarès pendant deux
mois. Il est brillant, plein d’humour et explique à ses deux comparses ce
qu’ils ne comprennent pas.
C’est parfait.
Après deux séances passées à naviguer dans un épais brouillard linguistique
Ajit et Israel aperçoivent enfin une vague lueur : ils savent se présenter
et saluer.
Quant à nous nous multiplions les rencontres et les invitations. Peu à peu se dessine l’image de la société de Khajuraho.
Nous déjeunons chez Sudesh. Marié et père de
deux enfants il partage la maison familiale avec ses frères et son père. Son
épouse est ravissante. Elle nous a préparé un délicieux thali. Femme au
foyer bien sûr, le mode de vie des habitants de Khajuraho est très
traditionnel, mais Sudesh lui a appris un peu d’italien. Une autre jeune
femme, les cheveux soigneusement cachés par le pan du sari et le regard
modestement baissé, aide à servir les plats. Elle est la belle sœur de
Sudesh, la femme de son plus jeune frère, Shivam et à ce titre elle ne peut
se montrer à lui sans avoir la chevelure dissimulée.
Pourtant, en dehors de la maison Sudesh et Shivam ne semblent pas très
conservateurs. Le premier est ingénieur informatique et a, il y a quinze
ans, introduit les ordinateurs à Khajuraho, le deuxième travaille sur les
images de synthèse, il est aussi cinéaste et à réalisé son premier film
l’année dernière.
Voilà qui nous intéresse grandement et nous élaborons ensemble le projet
d’une production italo-indienne. L’année prochaine nous revenons avec
Antonio
et le synopsis d’une histoire que je vais mitonner pendant l’hiver
bolognais.
Nous sommes aussi invités chez Anoop. Anoop est
guide touristique en espagnol. Et le moins qu’on puisse dire est qu’il en
vit bien. On comprend alors pourquoi beaucoup d’hommes du village veulent
exercer cette profession.
Mais, nous a expliqué Sudesh, aspirant guide, le chemin est semé d’embûches,
car les anciens de la profession, n’entendent pas partager le gâteau. A tel
point que les jeunes ont dû faire un recours au tribunal. La justice a
tranché, une cinquantaine de postulants pourra accéder à la profession.
Rani, la femme d’Anoop, est très fière de posséder dans sa jolie maison au
milieu de la campagne l’unique machine à laver du village.
Le déjeuner, strictement végétarien car la famille est jaïn, se passe très
bien à part que j’inonde copieusement la salle de bains en ne parvenant pas
à fermer un robinet que j’avais ouvert pour me laver les mains.
Le tourisme est la seule source de revenus du
village. Où plus exactement, les touristes constituent un infini réservoir
de roupies sonnantes et trébuchantes ou d’avantages divers et variés.
L’ambition de la plupart des garçons de Khajuraho est de se rendre en
Europe, au Japon ou en Corée, principaux pays producteurs de touristes. Pour
se faire, la technique la plus simple, amplement pratiquée, consiste à
séduire une touriste plus toute jeune et argentée afin de se faire offrir le
voyage tant souhaité, ou, le cas échéant une boutique de souvenirs, un
internet café ou un restaurant. On les appelle les « madames ».
En somme un échange de bons procédés, le jeune mâle local est ardent,
disponible, aimable et malléable ce qui n’est pas toujours le cas de l’homme
occidental qui de plus a la fâcheuse manie de préférer la fraicheur juvénile
féminine à la douceur de la maturité.
Néanmoins la multiplicité de ces couples crée
quelques problèmes. Les familles, très traditionnelles dans l’ensemble,
avalent difficilement la pilule mais l’avalent quand même car comment
résister à un voyage en Europe ou à un restaurant pour le petit ?
Les principales victimes collatérales sont les jeunes filles à marier qui ne
trouvent plus d’époux. Quand les garçons sont allés avec les femmes blanches
beaucoup de familles n’en veulent plus pour gendres.
Une relation entre une jeune fille de Khajuraho et un étranger est par
contre totalement exclue.
Si les hommes de la ville se font volontiers
entretenir par des Madames plus âgées ils n’en délaissent pas pour autant
les charmes des jeunes touristes de passages, la grande blonde rencontre un
vif succès dans les ruelles.
Comment s’en étonner quand l’attraction culturelle et historique de la ville
est une extraordinaire série de sculptures érotiques ?