Ambiance frénétique au siège de l’association. Une grande fête est en préparation. Elle doit avoir lieu cet après-midi et tous s’activent à sa réussite. Un spectacle exécuté par les enfants des family house est prévu, il sera suivi d’un dîner offert à tous et d’une réception plus intime avec les membres du staff et les amis de l’association.
Autant j’aime les fêtes et je suis contente d’assister à ces préparatifs, autant son objet me laisse perplexe. Il s’agit de célébrer, visiblement en grande pompe, l’anniversaire d’une bienfaitrice italienne, venue sur place pour l’occasion.
S., c’est son nom, nous ne la connaissons pas encore, nous savons
seulement qu’elle s’est, depuis quelques mois, entichée de l’association
pour laquelle a déjà versé des sommes importantes et fourni un nombre
impressionnant de sponsors fortunés.
S. est riche et, semble-t-il, généreuse.
Pour fêter ses cinquante ans elle a alloué une confortable quantité de
roupies à l’association avant de se retirer pour une semaine dans un luxueux
hôtel de la côte, laissant au staff de Namaste le soin d’organiser les
réjouissances.
Elle arrivera cet après-midi, à 4 heures, pour donner le signal de départ
des festivités.
Mauvais esprit comme je suis, je ne peux m’empêcher de penser qu’une
association caritative n’est pas un comité des fêtes et qu’il y a mieux à
faire avec plusieurs milliers de roupies que de célébrer le jour de sa
naissance.
D’autant que parmi les invités de la sauterie figurent une collection de
curés des environs car, me dit-on, la dame goûte particulièrement la
compagnie des ecclésiastiques.
Heureusement les quelques réserves que j’émets trouvent un écho joyeux
chez Deborah.
Deborah est une adorable jeune femme, pleine d’enthousiasme, d’humanité et
d’humour (sans compter un remarquable savoir faire avec les enfants et un
sens aigu de l’organisation) qui travaille comme volontaire au siège de
Namaste depuis 4 mois.
Nous ne la connaissions pas non plus avant mais entre elle et nous le
courant passe immédiatement.
D’ailleurs, pour participer au spectacle, elle a enseigné la Bella Ciao au
groupe des enfants du 5th standard (CM2).
Il semblerait que l’énergie et le volontarisme de S. aient littéralement
submergé les membres de Namaste qui n’ont rien pu faire d’autre que d’obéir
à ses directives.
Et puis une fête, c’est toujours amusant, ce n’est pas moi qui dirait le
contraire.
Néanmoins, me souffle ma conscience gauchiste, quelle superficialité
d’afficher ainsi sa fortune ! Les maharadjas d’antan et les occupants
anglais ne faisaient pas autrement pour éblouir la plèbe.
Il est rare aussi que tel étalage n’attire point les demandeurs de tous
poils et je subodore, méchamment peut-être, que bon nombre des acteurs
adultes de la fête a dans l’idée de défendre un petit (ou gros) intérêt
personnel.
La matinée se passe à accrocher des guirlandes et répéter la Bella Ciao avec les enfants.
Vers 3 heures les premiers participants arrivent. Ils viennent de
Poonthura, une ville désolée, posée au bord de la mer, envahie par les
déchets et dont la principale source de revenus est la pêche, l’ingrate qui
laisse trop souvent les hommes inoccupés picoler en jouant aux cartes avant
de rentrer à la maison complètement bourrés et frapper leurs femmes. La
situation est y est tellement difficile que la police a renoncé à pénétrer
dans certains quartiers. Namaste est très active dans la ville, de nombreux
enfants sont soit placés dans des family house soit sponsorisés dans leurs
propres familles.
En ce jour de fête ils sont venus étrenner la fanfare, nouvellement crée et
entièrement financée par S.
Qui, soyons honnêtes, a eu une excellente idée, les adolescents qui
composent « the band », sont ravis et en quelques semaines ils ont appris à
jouer en rythme et avec enthousiasme.
Puis arrivent les enfants des family house et nos petits de la Casa delle
Mamme qui doivent exécuter une danse dont nous avons vu hier soir la
répétition générale, quand à peine arrivés, nous sommes passés les saluer
chez eux.
A quatre heures le public, sur son trente et un, est assis. Les enfants sont
déguisés et maquillés. L’énorme gâteau d’anniversaire a déjà commencé à
fondre. Les musiciens sont en position devant la grille. Fabio a sa caméra
sur l’épaule. Les chanteurs connaissent la Bella Ciao par cœur (ce qui n’est
pas si facile quand sa langue maternelle est le malayalam). Les nuages
retiennent leur chargement de pluie. Tout le monde est là, sauf la
principale intéressée.
L’attente commence…