Mumtaj et Selvyn
C’est notre dernière halte avant le vol vers
Bologne.
Debora et Tadeus nous accompagnent. Outre le plaisir de revoir
Selvyn, Mumtaj et tous les occupants de
Prema Vasam, l’expédition a pour but d’arriver à un accord concernant la
House boys.
Petit rappel des faits : début Juillet, à peine débarqués de l’avion, nous nous étions rendus à Prema Vasam sur la demande de Valeria. Nous étions chargés de rencontrer Selvyn, de visiter son terrain, de donner notre opinion et d’expliquer au maître des lieux quels étaient les tenants et les aboutissants du contrat qu’il pourrait signer (éventuellement) avec une grande entreprise italienne présente à Chennai et qui voulait faire dans l’humanitaire.
Enchantés par la visite nous avions fourni à
Valeria un rapport positif et les tractations ont commencé.
D’un côté une entreprise italienne ayant le vent en poupe, des capitaux, des
usines pleines d’ouvriers, des relations mondaines et un sens aigu du
capitalisme, de l’autre un psychologue indien, Selvyn, secondé par une autre
psychologue, Mumtaj œil de lynx, qui au jour le jour et avec enthousiasme,
consacrent leur vie, leur énergie, leur amour à l’aide aux plus défavorisés,
les enfants des rues. A Prema Vasam, point de plan marketing !
Entre les deux, Namaste, l’entreprise italienne n’ayant pas l’intention de
traiter directement avec les autochtones.
Difficile d’imaginer des univers plus différents !
Si, afin construire une maison pour trente garçons actuellement entassés dans un espace trop petit, Selvyn et Mumtaj ont besoin d’argent, ils ne sont pas pour autant disposés (et comme je les comprends) à faire la moindre concession sur les valeurs humaines qui leur sont chères. Autrement dit l’intérêt des enfants doit toujours être prioritaire.
Sur une des premières ébauches de projet
Selvyn avait déjà résolument biffé la phrase de l’entreprise qui stipulait
que les enfants, devenus grands seraient embauchés dans l’usine de Chennai.
Que nenni, avait rétorqué Selvyn, ils travailleront où ils voudront !
Tout au long du mois d’aout, les négociations sont allées bon train via Internet. Nous arrivons à Prema Vasam avec un memorandum qui devrait être acceptable pour Selvyn. Il ne reste que deux points litigieux et nous avons bon espoir de trouver un terrain d’entente.
Premier point, l’entreprise italienne prétend
être le seul sponsor de la maison. Selvyn oppose qu’il ne voit pas au nom de
quoi il devrait priver les enfants de l’aide offerte par d’autres donateurs.
Prema Vasam fonctionne en partie grâce à des aides fournies par des sponsors
indiens. Certains donnent beaucoup, d’autres moins : un peu d’argent pour
acheter du riz, ou des livres scolaires, ou une tournée générale de glaces.
La solution s’impose alors et elle est très simple : une grande plaque
portant le nom de l’entreprise italienne sera accrochée, à l’exclusion de
toute autre, sur le mur de l’édifice. Les frais imputables à l’entreprise
lui seront adressés mensuellement et pour le reste motus et bouche cousue !
Deuxième point de discorde : l’entreprise exige que le
nombre des pensionnaires de la maison ne dépasse jamais trente. Exclu, dit
Selvyn, comment est-ce que je peux refuser d’aider un nouvel enfant qui
meurt de faim dans la rue, qui travaille ou subit des sévices ?
Actuellement trente deux garçons et 5 adultes vivent heureux dans 80 mètres
carrés. Les garçons dorment sur la terrasse, mais une terrasse ce n’est pas
la rue !
Alors pourquoi être si intransigeant sur le nombre ?
Et là encore, jaillit la plus simple des solutions, celle qui consiste à ne
rien dire en cas de dépassement numéraire.
Et voilà, le memorandum est signé !
Mission accomplie et série de photos.
Avec Babu aussi.
Babu est né la même année que moi mais la vie nous a traités différemment.
Selvyn l’a connu dans le centre pour handicapés mentaux où il exerçait sa
fonction de psychologue. Quand il a ouvert Prema Vasam, il a emmené Babu.
Babu aime se promener en voiture, déambuler sous la galerie et se faire photographier.
Photo 1, Babu, méfiant, n’a pas encore bien évalué la situation.
Photo 2, Babu réalise soudain que non seulement on le prend en photo, mais qu’en plus il est en compagnie d’une femme et que cette femme le tient par l’épaule. Un éclair traverse son œil et sa lèvre se retrousse.
Merci Babu !