Valeria, créatrice de
Namaste, l’onlus
qui nous aide à gérer la «
Casa
delle Mamme », nous a demandé de rencontrer Selvyn, un psychologue qui a
monté une association caritative, Prema Vasam, dans la banlieue de Chennai.
Cette requête étant toute récente nous ne savons pas vraiment qui est qui et
qui fait quoi mais notre mission consiste à voir un terrain appartenant à
Selvyn et qui pourrait être utilisé pour construire un centre, géré
conjointement pas Namaste et Prema Vasam, destiné à accueillir de jeunes
garçons en grande difficulté familiale, orphelins ou abandonnés par leurs
familles.
Mumtaj et Selvyn
L’opération doit être financée par une grosse
entreprise métallurgique bolognaise implantée à Chennai et les dirigeants de
celle-ci attendent un projet diligemment rédigé par les bons soins de
Selvyn.
Or, et c’est là où nous devons intervenir, les ébauches de projet qui
émanent de Prema Vasam comportent des lacunes. Le temps passe et Valeria
s’impatiente.
Bref, nous devons convaincre Selvyn de s’activer efficacement et au plus
vite, faute de quoi l’entreprise italienne pourrait bien aller chercher
ailleurs !
Nous arrivons à Prema Vasam en fin de matinée,
dans la vieille Ambassador blanche que nous a envoyé Selvyn.
C’est un grand bâtiment bleu. Une galerie court sur le côté. A droite, sous
un préau, nous apercevons des enfants allongés. Ils se reposent, ou dorment
peut-être.
Nous ne le saurons pas tout de suite car Selvyn se précipite à notre
rencontre et nous invite à nous asseoir dans un bureau. Nous faisons la
connaissance de Mumtaj, sa plus proche collaboratrice.
La bonne humeur règne. On nous sert à boire. Des enfants viennent nous voir
de près. Ils appellent tous Selvyn « appa » (papa).
On nous présente différentes jeunes femmes dont j’oublie immédiatement les
prénoms.
Après quelques politesses d’usage nous attaquons l’argument pour lequel nous
sommes venus, c’est-à-dire, le fameux terrain.
« Plus tard, plus tard, dit Selvyn, d’abord nous voulons vous faire visiter
Prema Vasam »
Il nous explique qu’il a crée ce centre après avoir trouvé sur un trottoir
un petit garçon mourant, Prem. Bouleversé par les conditions de vie des
enfants des rues il a décidé de leur consacrer son temps, son énergie, sa
vie. Et, plus particulièrement de secourir les plus faibles, les plus
démunis d’entre eux. Ceux envers qui la nature a été la plus cruelle.
Soudain un groupe de joyeuses écolières en uniforme fait irruption dans le
bureau. Aussitôt les choses s’accélèrent. On fixe une guirlande de jasmin
dans mes cheveux et on nous entraine dans la galerie. Puis, hop, des
fillettes nous passent autour du cou de somptueux colliers de fleurs et nous
commençons la visite du bâtiment par le préau où il m’avait semblé voir
dormir des enfants.
Ils ne sont pas endormis. Ils gisent sur des
nattes. Pour beaucoup d’entre eux c’est la seule position que permettent
leurs corps.
Ils sont une trentaine, allongés les uns à côté des autres.
Certains ne peuvent pas du tout marcher, d’autres, soutenus esquissent
quelques pas.
Aucun ne sait parler.
Assis en file le long d’un muret, des kinésithérapeutes massent les membres
décharnés, les ossatures biscornues, les crânes plats ou pointus.
La vaine et douloureuse illusion de partager la souffrance d’autrui mêlée à
un profond sentiment d’injustice me transperce avec une telle fulgurance que
l’espace d’un instant mes yeux s’emplissent de larmes. Est- ce cela la
compassion ?
Mais, allant au-delà de ce qui ne pourrait-être
qu’un apitoiement passager, je comprends que grâce à Prema Vasam ces enfants
vivent dans les meilleures conditions possibles.
Jetés dans la rue par les familles, abandonnés devant les temples ou les
églises, ils ont trouvé ici un havre de paix.
Un refuge tendre et aimant.
Sous les mains expertes des masseurs, les corps
se détendent et des sourires viennent éclairer les visages crispés.
De nombreuses femmes s’affairent pour nourrir, changer, déplacer les
enfants. Leurs gestes sont doux et sûrs. Elles rient. Parlent aux enfants.
Et je perçois désormais la sérénité qui règne sous ce préau, où chacun
s’applique à aider, à soulager, à panser, à nourrir ces petits d’hommes que
le destin a maltraités.