Il est déjà 14 heures quand la voiture de Prema Vasam vient nous prendre
à l’hôtel. Sachant qu’il faudra une heure pour aller chercher Mumtaj et
ensuite plus de deux heures pour rejoindre le terrain, l’après-midi sera
sans nul doute fatigant !
Il est néanmoins hors de question de renoncer, il ne sera pas dit que nous
aurons quitté Chennai sans avoir vu ce fameux « land », objet de tant
d’attention.
De plus nous devons nous arrêter à la «house boys » déjà existante.
Et le voyage commence. Nous traversons l’interminable banlieue de Chennai
(7 millions d’habitants, une ville tentaculaire), puis la zone industrielle
où se sont implantées de nombreuses entreprises étrangères. De la poussière
d’une terre plate, désolée, émergent d’énormes usines.
« Avant, dit Mumtaj, alors que nous traversons une zone qui semble
sinistrée, arbres morts, herbe desséchée, avant, ici, il y avait des
rizières. Les paysans vivaient de leurs cultures, la terre était bonne. Puis
Hyundai est arrivé et a rejeté d’énormes quantités l’huile souillée. Toute
cette zone est polluée. Les paysans ont dû partir. »
Au fur à mesure que nous nous éloignons la campagne redevient belle, verte, calme.
Il est 17 heures lorsque nous atteignons la maison où vit une trentaine de garçons entre six et seize ans, tous, ou presque, enfants des rues. Mary, une infirmière, assure le rôle de house keeper elle est secondée par deux jeunes filles pour les travaux ménagers et deux animateurs s’occupent des pensionnaires, les aidant à étudier, les éduquant.
L’accueil est enthousiaste. Les garçons se précipitent pour vider la voiture de son chargement. Les gros sacs de riz passent de mains en mains : le ravitaillement est arrivé, et nous en prime !
La maison est petite, tellement petite que lorsqu’il ne pleut pas les
enfants étudient et dorment sur la grande terrasse du toit. Ils n’ont qu’une
seule salle de bains à disposition. De plus la maison est divisée en
plusieurs appartements, dont un situé de telle manière que ses locataires
doivent traverser la salle commune des garçons pour se rendre chez eux.
Pour finir le propriétaire est un mauvais coucheur qui prétend augmenter le
loyer car la maison abrite trente enfants au lieu des vingt initialement
prévus.
Malgré sa petitesse le logement est propre est ordonné (ce qui n’est pas
évident quand trente quatre personnes vivent dans 80 m2).
Finalement nous partons tous en procession vers le fameux terrain. En chemin Mary m’explique que tous les jours, en fin d’après-midi, les animateurs accompagnent les enfants au terrain où, pendant près de deux heures, ils jouent ou font du sport. Puis ils retournent à la maison, se lavent, étudient, dînent et étudient encore.
Les garçons plaisantent joyeusement, nous adressent quelques mots en
anglais (What’s your name ? Where do you come from ? ») ou gambadent sur la
route.
Ni cris, ni disputes.
Il est devant nous. Beau, grand, plat, ceint d’un haut mur. A notre
arrivée le gardien émerge cahin caha de sa cahutte pour nous ouvrir le
portail.
Les garçons s’égayent avec bonheur dans cet espace qui, de toute évidence,
est le leur.
Certains courent, d’autres font du saut en longueur avec le jeune animateur
sportif, jouent au badminton ou au cricket.
Et dans le jour finissant nous regardons jouer ces enfants qui n’ont jamais rien eu et pour qui s’ébattre sur ce terrain est une joie sans cesse renouvelée.
Ils n’ont ni Play station ni téléphone portable ni vêtements de marque.
Rien.
Je m’émerveille auprès de Mumtaj de leur calme et de leur enthousiasme.
Elle sourit et me répond « They are happy ».
Elle aussi je la sens heureuse, fière d’avoir contribué à tant améliorer
l’existence de ces enfants.
Pleine d’espérance aussi, car si la grosse entreprise métallurgique
italienne (dont Valeria m’a assuré qu’elle respectait l’environnement et
offrait à ses ouvriers de bonnes condition de travail et de sécurité),
reprend le projet, une belle et ample maison sera édifiée sur ce terrain.
Les garçons auront une salle pour étudier, des dortoirs confortables et Mary
pourra ouvrir un dispensaire pour les gens du voisinage.
Nous expliquons à Mumtaj que Selvyn doit absolument et au plus vite se rendre chez un avocat pour établir un contrat de location du terrain à Namaste. Qu’il doit aussi rédiger un projet en bonne et due forme. Que de notre part nous allons écrire à Valeria pour lui dépeindre les conditions de vie des enfants, pour lui raconter leur attachement à ce terrain, leur espoir d’y avoir enfin une maison, où ils pourront vivre en paix.
Comme tout être humain de cette planète, ils y ont droit.